mercredi 18 novembre 2009

Intégration, assimilation et identité en Hongrie au XIXe et XXe siècles : contribution de Gábor Szirtes à la conférence du 10 novembre 2009

Le 10 novembre 2009, l'association des Mardis hongrois de Paris a organisé une conférence à l'Institut hongrois sur le thème de « Intégration, assimilation et identité en Hongrie au XIXe et XXe siècles ». Les intervenants de la soirée étaient

Clara Royer, chercheuse au sein du CIRCE (Paris IV) spécialisée sur la culture juive hongroise, Étienne Boisserie, historien spécialiste de la Slovaquie (INALCO), Gábor Fleck, sociologue spécialiste du monde tsigane (contribution écrite), Gábor Szirtes, directeur des éditions Pro- Pannonia de Pécs, éditeur de l’autobiographie Eletemből de Jánosi Engel Adolf (aïeul d’Anna Stein), Rozsa Jakab, directrice du Musée de Komló qui a fait traduire le texte allemand en hongrois et a eu l'idée de son édition, Anna Stein, peintre et sculpteur.

Krisztina Ginsztler-Bertrand et Jean-Pierre Frommer, président de l’association des Mardis hongrois de Paris assuraient l'animation.

Certaines des contributions seront publiées sur le présent blog.

Gábor Szirtes

L'avènement de la bourgeoisie et l’intégration sociale des Hongrois juifs

Adolf Engel

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Un peu d'histoire

Un poète inconnu il y a des siècles a décrit la ville de Pécs comme « l’Athènes de la Hongrie », Mustapha Dszeleaàzada, l’homme d’Etat de renom du XIVe siècle avait qualifié « cette grande ville ancienne de semblable au Paradis », pour son site ravissant au pied de Mecsek. Le siècle suivant le voyageur français, membre de l 'Académie de Lyon, Jean- Claude Flachat notait qu’il n’avait pas vu de ville plus charmante en Hongrie. F.S. Beudant le géologue français, au début du XIXe siècle, a loué sa belle situation et son architecture. « C’est une des plus belles villes que j’ai vues » disait le comte Hoffmansegg qui collectait l'observation des insectes et des riches évènements au XVIIIe siècle. On admirait le paysage, la richesse des récoltes de fruits, ses vins corsés, et les charmes des dames de cette ville. Depuis le XIXe siècle, on a apprécié la coexistence harmonieuse de l’industrie et de la nature.

C’est bien à partir du milieu du XIXe siècle que la coexistence de la nature et de l'industrie et d'autres facteurs de développement urbain comme les secteurs de l'éducation, de la culture et de la santé ont joué de façon intense sur l’éclosion de l'économie. Les productions artisanales étaient relayées par des manufactures, puis par les industries. Les mines de charbon fonctionnaient depuis un siècle et demi, des entrepreneurs qualifiés apparaissaient qui ont parcouru l’Europe, et sont devenus des partenaires dignes de la concurrence internationale. Jozsef Angster est devenu un constructeur d’orgues très connu, ses voyages l’ont conduit jusqu’à Paris où il a capté le savoir faire du grand maître des constructeurs d’orgues, Aristide Cavallé-Coll. De même, des industriels et hommes de métiers de Pécs, de renommée européenne, voire internationale ont produit au XIXe-XXe siècles l’usine de porcelaine Zsolnay, qui concurrençait celle de Meissen, l’excellence des gants Hammeli, le champagne Littke, consommé sur trois continents, pour ne donner que quelques exemples. Ils ont représenté un nouveau mode de pensée, un nouveau comportement, une mentalité et des valeurs nouvelles. C’étaient les créateurs, promoteurs du développement bourgeois, pour eux richesse, bourgeoisie et moralité n’étaient pas des concepts contradictoires, mais consubstantiels. Ils savaient que les conditions de la participation à la concurrence est le savoir, la compétence, l’acquisition des connaissances à l’étranger et leur fructification, la recherche et la volonté de créer sans cesse du nouveau, la qualité sans faille et l’apprentissage durant toute la vie. Ils savaient que pour cela la culture du travail, la discipline, le respect de l’ordre, la ponctualité sont indispensables, et la sensibilité sociale est nécessaire pour établir des relations correctes avec leurs ouvriers. Une vie familiale et une vie privée équilibrées, la confiance en eux-mêmes, l’appréciation continuelle de leur valeur produira leur crédibilité morale et économique.

Ils voyaient que leur réussite personnelle et celle de leur ville et de leur pays étaient indissociables. Le développement du territoire, l’environnement, l’urbanisation, la formation de la ville, le développement des installations sanitaires et d’enseignement, la création des institutions culturelles ont fait corps avec eux. De cette façon la ville de Pécs qui comptait 16.000 habitants en 1850, passait à 48.000 en 1910, devenant un centre important de la région Transdanubie du sud, disposant d'une sérieuse infrastructure industrielle, humaine et culturelle. Sa littérature, sa vie musicale, artistique et théâtrale étaient de haut niveau. De cette façon s’accomplissait la constitution de cette bourgeoisie avec la cohabitation dans cette ville multicolore d'ethnies et de religions multiples : des Allemands, des Croates, des Bosniaques, des Hongrois, en outre, catholiques, protestants, orthodoxes, ou juifs qui se livraient une concurrence constructive non dépourvue de conflits et non sans volonté assimilatrice hongroise.

Adolf Engel était un représentant éminent de cette classe émergente représentant la force propulsive d’un nouvel ordre de valeur. Son cheminement, partant de rien, sa haute trajectoire pleine de lutte, ce que relate ce livre avec son autobiographie, que nous présentons, est un exemple caractéristique de l’intégration des juifs de Hongrie- non sans contradiction, accompagné de beaucoup de difficultés, mais intégration tout de même réussie. Les chercheurs de l’époque du tournant des XIXe et XXe-siècles, et les lecteurs de documents, articles de presse sont non seulement entrainés par l’élan de la période de croissance d’après 1867, mais aussi par le fait qu’à partir de cette époque ce n’est pas seulement l’origine sociale qui était la base de la réussite, mais de plus en plus les connaissances et les compétences. Il est également à considérer que pour les minorités ethniques et religieuses, il fallait affronter bien plus de difficultés que pour les nationaux. Beaucoup d’entre elles devaient faire le choix de préserver leur identité religieuse et leur langue, face à la conception « de la politique de la nation une et indivisible». Certains ont affronté les pressions du nationalisme contraignant, en gardant leurs religions, tout en participant à l’élan général. Pour moi il était naturel de donner sa place dans mon ouvrage « Panthéon de Pécs », paru il y a près de 15 ans, à Adolf Engel, d’origine juive, en tant que représentant de marque de cette communauté.

Après le règne turc (1543-1686) la ville de Pécs voulait retrouver ses racines chrétiennes- ce qui paraît étonnant de nos jours. C’est pour cette raison qu’en 1692 les bourgeois de la ville avec l’évêque Radonay ont fait vœu, que seules des personnes de confession catholique seraient admises à y résider. Cette décision a été confirmée chaque année, même en 1780, la ville devenant ville franche royale. Les juifs dans le district de Baranya, au nombre d'environ 4 à 500, principalement marchands et artisans, tentèrent plusieurs fois de s'établir à Pécs centre commerçant important pour leurs activités, mais sans succès. À partir de l'ordonnance de tolérance de Joseph II en 1783 une possibilité s’ouvrait aux juifs pour entrer dans une ville royale libre, en obtenant une autorisation temporaire, le « commorans ». Dans cette ville deux autorisations seulement ont été accordées. L’une a été donnée en 1795 à Péter Engel, le père d’Adolf, qui après 29 ans de résidence a obtenu le statut de « tolérance », ce qui était non seulement définitif, mais concernait aussi ses enfants. Péter Engel a fait l’acquisition d’une maison vers le milieu des années 1820 et, après des difficultés, a obtenu des autorités l'autorisation de propriété. C'est dans sa maison, au 12 rue Zrinyi, que fut établie la première salle de prière des juifs de Pécs entre 1825-1843.

La situation d’exclusion des juifs s’est quelque peu améliorée en 1840, par l’ordonnance XXIX, qui leur autorisait l’accès des villes, excepté des villes minières, si le conseil municipal leur donnait l’autorisation. À Pécs, le conseil municipal a toujours essayé d’y faire obstacle.. Les requêtes ont été transmises aux corporations qui, redoutant la concurrence, les ont refusées. À partir de 1840 cela ne comptait plus et dès 1846 44 chefs de famille étaient installés de plein droit. L’essor économique était favorable à la population juive, et Adolf Engel et ses nombreux compagnons y ont pris part très activement. Leur nombre croissait rapidement : en 1857 il y avait 585, en 1869 1.623 , en 1880 2.244, en 1890 3.124 juifs habitant à Pécs. À la fin du siècle leur nombre dépassait 4.000, en 1922 4.292, c’était 9% de la population de la ville. Dans notre histoire c’était le nombre le plus important de juifs habitant à Pécs. Leurs établissements y prenaient place : entre 1816 et 1827 on créait le cimetière, on a fondé le consistoire en 1840, Adolf Engel en était membre, puis à partir de 1874 il fut élu président de cette assemblée. En 1843 on inaugura la première synagogue, rue Citrom, puis en 1869 sur la place Kossuth, celle en activité aujourd’hui. Adolf Engel fut l'initiateur de chacun des temples et apporta son soutien financier à leur réalisation.

D’autres difficultés et obstacles s'accumulèrent face à à leur réussite sociale. Après que les villes royales libres eurent refusé l’autorisation de l’établissement des juifs, la seule possibilité qui leur restait était d'obtenir une domiciliation par des grands propriétaires terriens auxquels ils étaient contraints de payer un tribut de protection. En outre, Marie-Thérèse avait imposé à partir de 1743 une taxe spéciale que l’on nommait à partir de 1749 « impôt de grâce », qu’ils avaient à payer simplement pour obtenir la tolérance de leur présence. Cette ordonnance fut abolie seulement en 1846. En 1842, Adolf Engel, en tant que personne de seconde classe avait à payer 4,16 Forints par an. Plus tard, il conduisit un mouvement local de huit personnes pour l'abolition de l'impôt de grâce.


Texte de Gábor Szirtes traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

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